Le sujet qui est revenu sur le devant de la scène gaming avec la dernière présentation de Google et qui sera très probablement un axe important de cet E3, c'est évidemment le cloud gaming.

Le cloud gaming est, à mon avis, un usage qui va grandement prendre de l'importance dans les années à venir pour différentes raisons qu'on peut énumérer.

Un marché au potentiel colossal

Pour les éditeurs et les studios, c'est une nouvelle clientèle d'un nombre gargantuesque qui est à leur portée, car il faut se rappeler des fondamentaux qu'est censé proposer le cloud gaming :

  • Ça fonctionne sur tous les écrans : smartphone, tablette, pc portable, pc de bureau, télé. À partir du moment où vous avez accès à un écran et une connexion internet relativement généreuse, vous devriez être en capacité de jouer.
  • Ce qui signifie que la puissance des appareils n'entre pas vraiment en compte puisque tous les calculs se font sur un serveur distant.
  • La capacité de lancer immédiatement les jeux au lieu de devoir les télécharger, chose qui est devenu de plus en plus long si on a pas une très grosse connexion fibre, surtout que les jeux pèsent de plus en plus lourd (entre 50 et 100Go pour les jeux à gros budget).
  • La capacité de jouer n'importe où à condition d'avoir une connexion internet qui suive, ce qui rends la capacité de jouer encore plus souple car soit il fallait télécharger en avance les jeux (et donc un disque dur potentiellement relativement important) soit avoir le temps de télécharger les jeux qu'on souhaitaient.
  • Les joueurs n'ont pas à s'occuper des mises à jour des jeux ou d'être bloqué par ces dernières, ce qui fait disparaître cette friction à l'utilisation (et qui pouvait bloquer l'utilisation d'un jeu si c'était un énorme patch d'une dizaine de Go ou de la sortie d'une extension avec potentiellement des dizaines de Go de données à télécharger avant de pouvoir jouer).

Comparé aux 200-300M de joueurs possibles dans le marché actuellement concernant le marché "classique" (PC gamer/consoles), c'est la barrière du milliard et plus qui peut être touché largement plus facilement avec le cloud gaming.

Cela fait passer ce loisir potentiellement un peu technique (soit avec la panne matériel de l'équipement dédié, les éventuelles incompatibilités matérielles) à quelque de complètement plug-&-play, encore plus que les consoles actuelles, devenant une sorte de Netflix du jeu vidéo en terme d'utilisation.

Un contrôle total du côté des éditeurs et des studios

Et c'est probablement la raison pour laquelle ils vont énormément pousser cet usage : plus de possibilité de tricher, modding possible uniquement s'ils proposent un moyen de le faire dans le jeu (puisqu'il n'y a pas d'accès aux fichiers en local), le piratage devient impossible (si le jeu n'est proposé qu'en cloud gaming), un contrôle total sur l'accès aux jeux et surtout ça limitera grandement les configurations techniques à viser, donc une meilleure optimisation technique et des coûts de dev moindre (en temps, personnel et financier).

C'est le rêve de tout studio à ce niveau, pouvoir contrôler précisément les conditions de jeu pour obtenir la meilleure expérience possible pour les joueurs et à ce niveau, c'est le Saint-Graal.

Il ne faut pas se leurrer, cela permet aussi de contrôle plus facilement le business-model des jeux en question.

De même tout n'est pas parfait (loin de là) concernant le cloud gaming, surtout du point de vue utilisateur.

Les limitations du cloud gaming pour les joueurs

Cet usage semble bien sur le papier mais comme indiqué plus haut, cela signifie également plusieurs limitations :

  • Il faut une connexion un peu costaude pour utiliser les services, dans les 10-15 Mo/s minimum pour avoir une qualité d'image un minimum correct. Cela signifie également que c'est le type d'offre qui sera surtout disponible pour les habitants des villes moyennes et importantes.
  • Il faut posséder une connexion internet stable sous peine d'avoir une expérience très désagréable.
  • Il faut aussi un bon routage réseau entre sa box et les serveurs du service de cloud gaming pour minimiser la latence (et un fournisseur d'accès qui ne fasse pas du QoS, donc de brider les connexions vers certains services)
  • Il faut surtout avoir un forfait internet avec soit un cap de données très élevé ou illimité (ce qui est notre cas pour ce dernier en France, mais ce qui est loin de l'être dans pas mal de pays, y compris (très) dévelopés)
  • Et évidemment les joueurs sont complètement soumis aux conditions dictés par les propriétaires du service, que ce soit en terme d'accès et de politique de prix de l'abonnement.

Tout indique donc que ce sont chaque joueur qui décideront si les incovénients sont moindres que les avantages par rapport à leur situation afin de décider si oui ou non cet usage colle avec leur envie et rythme de vie.

La part des connexions fibre résidentielles parmi les connexions haut-débit par pays - Source

Mais il est temps de parler de l'acteur qui fait du bruit actuellement, Google.

Stadia, pas de grandes surprises

À l'opposé de plusieurs observateurs, je n'ai pas été très étonné par les annonces concernant Stadia et un peu moins prompte à les descendre en flèche étant donné qu'il reste encore 6 mois avant la commercialisation du service.

Déjà parlons de ce qui a été annoncé par Google :

  • Le service sera disponible en Novembre dans une douzaine de pays (y compris la France)
  • Le service proposera un abonnement "Pro" d'un montant de 9,99€ à sa sortie permettant un streaming en 4K HDR en 60 images par seconde et un son 5.1. De même des jeux gratuits et des réductions sur des jeux seront proposés aux abonnés.
  • Les jeux doivent être acheté à l'unité dans la boutique Stadia (donc en plus de l'abonnement)
  • Une offre gratuite sera disponible en 2020 permettant de jouer en 1080p 60 images par seconde en stéréo et sans HDR, donc une qualité limité du service proposé (mais qui sera suffisante pour une majorité des personnes dans un premier temps).
  • Une trentaine de jeux (dont deux exclusivités) d'une douzaine d'éditeurs ont été annoncés dans un premier lors de la présentation
  • Une manette facultative sera disponible à l'achat incorporant Google Assistant et qui sera directement connecté à l'instance de jeu du joueur via Wifi (au lieu que les inputs de la manette passent par la couche logicielle de l'application et du système d'exploitation, permettant de gagner quelques millisecondes théoriquement)

Edit : plusieurs jeux qui n'étaient pas annoncés à la base ou lors de la présentation sont en train d'índiquer leur disponibilité sur Stadia à l'E3, indiquant que le catalogue devrait grossir d'ici la sortie du service.

Beaucoup de joueurs et d'observateurs semblent être déçus par le fait que ce ne soit pas une offre à la Netflix, c'est à dire une offre d'abonnement permettant un accès illimité à un catalogue de jeux au lieu de devoir les acheter à part.

Je répondrais que c'était à prévoir pour plusieurs raisons :

  • Étant donné le coût de développement des jeux, il est très probable que les éditeurs n'allaient pas accepter cette forme de braderie de leur catalogue (parce que cela aurait signifié que les studios allaient être rémuné au temps de jeu et non un prix fixe)
  • Les éditeurs souhaitent également très probablement éviter l'émergence d'un acteur monopolistique qu'ils ne peuvent contrôler à long terme à l'image de Steam sur le marché des ventes dématérialisées sur PC.
  • Certains ont probablement l'idée de proposer leur propre service de cloud gaming à terme, éventuellement avec en plus une offre à la Netflix cette fois (un accès complet ou presque à leur catalogue en échange d'un abonnement), donc c'est plus prudent de limiter un peu l'attrait de l'offre de Google.

J'ai également remarqué que beaucoup critiquaient le fait qu'il y ai peu de jeux qui aient été annoncés, sauf que c'est oublier le fait qu'il reste 6 mois avant l'ouverture de Stadia et que d'autres titres seront très certainement annoncés d'ici là. D'ailleurs peu après la présentation de Google, Capcom, Electronic Arts, RockStar (et même Focus la veille) ont annoncés qu'ils allaient proposer des jeux pour la plateforme.

D'ailleurs il faut signaler que si le nombre de jeux peut sembler faible, c'est également parce qu'il faut dans la plupart des cas les porter sur Linux, car l'infrastructure de Stadia fonctionne sur Linux et les cartes AMD pour faire tourner les jeux, ce qui signifie que les studios doivent les porter avant de pouvoir les proposer (et que ça ne m'étonnerais pas que ce soit Google qui paie les coûts de portage, au moins pour quelques temps).

Quelles sont les chances de succès de Stadia ?

Une question qu'il est difficile de répondre mais on peut dire sans trop de problèmes qu'elles ne sont pas nulles pour autant du fait de plusieurs facteurs :

  • Google à la force de frappe de faire une campagne extrêmement aggressive pour acquérir des consommateurs, que ce soit grâce à la page d'accueil de Google Search (chose qu'ils ont déjà commencé à faire), dans GMail, sur Android, via AdSense et évidemment des méthodes plus classiques comme des pubs télés, des pubs radio, de l'achat d'espaces publicitaires sur les sites et l'achat de service de célébrité de l'entertainement (cinéma, musique, sportif, youtube) pour vanter les "qualités" du service.
  • A noter aussi que le service est plus taillé pour les joueurs occasionnels ou limité financièrement, les personnes ne pouvant s'offrir une (bonne) machine de jeu dédiée en une fois et les fanas du dématérialisé.
  • Google a également une force financière sans limite leur permettant de filer des chèques à tous les éditeurs et studios pour qu'ils portent leurs jeux sur Stadia

Tout ce que je peux dire à l'heure actuelle c'est que personnellement je n'ai pas l'impression que ce service cherche à m'atteindre (ou des joueurs comme moi) principalement parce qu'il est hors de question que je puisse avoir accès à une collection de jeux que j'aurais acheté séparémment derrière un abonnement, c'est aussi simple que cela.

Par contre je testerais probablement un mois en Pro en jouant sur un jeu gratuit (genre Destiny 2) lors de sa sortie pour voir quelle est la qualité du service.

Néanmoins j'ai remarqué une légère hypocrysie d'une part des core/hardcore gamers en disant qu'il est hors de question d'être dépendant d'une connexion internet pour jouer à leurs jeux (à moins que j'ai mal compris), sauf que je répondrais que c'est déjà le cas.

Type de message pouvant s'afficher même en tentant de lancer le client en mode offline

Actuellement toutes les plateformes de jeu sur PC (excepté GoG et quelques autres très mineurs) demande une connexion internet pour permettre de jouer aux jeux, parce que le support du offline reste très erratique (dans son fonctionnement ou son support), sans compter du besoin de connexion permanente pour les "Game as a Service", qu'ils soient solo, solo avec une composante coop ou multijoueur.

Bref tout ça pour dire qu'il existe très certainement un public important pour le cloud gaming mais qu'il est impossible de savoir pour le moment si l'offre de Google est pertinente pour intéressé ce public avec Stadia, seulement qu'il a les moyens pour les attirer et également obtenir un catalogue pas mauvais grâce à leur compte en banque bien fourni.

Et je sais également que de mon côté je ne suis pas la cible de ce type d'offre, par contre je le suis plus pour un service de type Shadow, qui est du cloud computing, donc la location d'une instance d'une installation de Windows 10 sur une configuration gamer (et à partir de là on peut installer Steam/Uplay/GoG et y lancer les jeux de nos comptes), que de payer un service qui permet de lancer un jeu qui n'est accessible que via la plateforme.

De toute façon le marché du jeu vidéo va être chamboulé très bientôt entre la nouvelle génération de consoles, les offres de cloud gaming de Google, Microsoft, Electronic Arts et l'arrivée des offres d'abonnement à l'accès des bibliothèques des éditeurs qui vont arriver de manière plus franche (car pour l'instant il n'y a qu'EA, mais il semble qu'Ubisoft va emboiter le pas très bientôt). Cela va être une période très intéressante.