Petit billet réaction suite aux propos de la Ministre de la Culture, Françoise Nyssen, qui selon elle pour combattre le piratage, il faut bloquer/déréférencer les sites partageant du contenu illégal ainsi que les assécher financièrement.

Ca fait neuf ans que la Hadopi existe et on a jamais vu un effet réellement tangible de son effet sur l’activité “pirate”. Pourtant il suffit de demander à quelques geeks lambda (réalistes quand même) pour trouver des solutions permettant de réduire de manière significative le téléchargement/visionnage illégal tout en permettant aux ayants-droits de gagner autant voir plus d’argent. On va lister ici une (bonne) partie de ces possibles solutions.

1. Revoir en profondeur la chronologie des media

Cette fameuse exception française qui n’a aucun sens au 21e siècle (et spécialement en 2018) qui ne fait que pousser les gens à consommer illégalement les films.

Pour rappel, voici la chronologie actuelle :

  • 0 mois : Sortie en salle
  • 4 mois : Sortie en DVD/Bluray ainsi qu’en VOD
  • 10 mois : Disponible pour les chaînes TV payantes de cinéma ayant signé un accord avec les organisation du cinéma (donc Canal+ dans la pratique)
  • 12 mois : Disponible pour toute les chaînes TV payantes de cinéma
  • 22 mois : Disponible pour les chaînes TV coproductrice du film
  • 30 mois : Disponible pour toutes les chaînes TV
  • 36 mois : Disponible pour les services de vidéo à la demande par abonnement (type Netflix)
  • 48 mois : Disponible pour les services de vidéo à la demande gratuite

C’est assez dingue qu’il faut attendre trois ans pour voir un film du cinéma être disponible sur une plateforme de type Netflix ou OCS quand dans le même temps aux Etats-Unis, ils doivent attendre environ deux ans voir moins en moyenne. C’est particulièrement ridicule quand on prends en compte le type de société dans lequel on vit (celui de la (quasi-)instantanéité).

Jours séparant la sortie au cinéma avec la disponibilité en DVD/Bluray

Donc j’aurais plutôt à proposer cette chronologie, plus en phase avec la société et les usages actuels :

  • 0 mois : Sortie en salle
  • 3 mois : Sortie en DVD/Bluray ainsi qu’en VOD
  • 7 mois : Disponible pour les chaînes TV payantes de cinéma ayant signé un accord avec les organisation du cinéma (donc Canal+ dans la pratique)
  • 10 mois : Disponible pour toute les chaînes TV payantes de cinéma
  • 12 mois : Disponible pour les chaînes TV coproductrice du film
  • 18 mois : Disponible pour toutes les chaînes TV et les services de vidéo à la demande par abonnement
  • 36 mois : Disponible pour les services de vidéo à la demande gratuite

Voici une chronologie qui est plus proche de la consommation des media actuelle tout en permettant à chacun des acteurs de faire son beurre tout de même et voir même plus et/ou plus rapidement (parce que les films tomberont moins dans l’oubli). De plus concernant la fenêtre d’exclusivité réduite pour la télé, dans la pratique ils diffusent qu’une fois le film dès que l’exploitation est possible (pour les blockbusters, titres qui intéressent principalement les chaînes).

L’usage de Netflix devenant de plus en plus majoritaire face à la télé aux US

Au final l’exploitation possible des films du cinéma serait possible en moitié moins de temps sur les plateformes de SVOD et dans une fenêtre légèrement raccourcie (et simultanée) aux chaînes TV.

Une alternative possible sera descendre la diffusion à toutes les chaînes TV à 24 mois mais je n’ai pas la moindre idée de comment sont rétribués les ayants-droits au niveau des droits TV (mais j’ai un léger doute sur le fait que ce soit mieux payés qu’en SVOD au final).

Je ne parle pas de l’exemption spéciale de Canal+ parce que je considère que c’est un scandale (Netflix fait la même chose mais n’a pas le droit à la fenêtre spéciale parce que Canal+ fait du lobbying contre).

2. Proposer systématiquement la VF ET la VO/VAST sur l’offre légale

Et quand je dis ça, je pense évidemment que ce soit dans le même fichier et non dans deux articles différents (pour ceux qui proposent aussi les films en VOST à part).

Si les titres sont affichés deux fois, c’est parce que la VO et la VF sont deux achats différents

Je ne comprends pas vraiment qu’il faut choisir entre la VF et la VO/VAST (quand c’est possible) alors que les DVD et Bluray contiennent entre 2 et 5 langues ainsi que 2 à 5–7 sous-titres pour un prix inférieur, c’est n’importe quoi (surtout que les ayants droits gagnent plus avec les VOD)

3. Interopérabilité avec les navigateurs web et les systèmes d’exploitation

Voici encore une chose qui serait bien d’appliquer, que les lecteurs vidéo des sites de streaming (hors Netflix pour le seul que j’ai testé en pratique et qui fonctionne) utilisent l’HTML5, qu’ils fonctionnent sur Microsoft Edge, Google Chrome, Mozilla Firefox, Opera, Vivaldi et autres dérivés de Chrome et Firefox ainsi que sur les systèmes d’exploitation Microsoft Windows, Apple OSX et MacOS ainsi que GNU/Linux afin que n’importe qui puisse effectivement profiter de l’offre légale en streaming.

4. Retrait des DRMs et téléchargement obligatoirement possible des films payés à l’acte

Cela rejoint le point du dessus, mettre des DRMs sur les fichiers alors qu’à l’évidence cela n’a aucun effet sur la disponibilité des fichiers sur les réseaux pirates montre que cela ne sert à rien de s’évertuer à bloquer cette pratique au niveau de ce marché (en tentant de surprotéger les fichiers).

De plus les DRMs peuvent également poser problèmes aux consommateurs légaux puisque si ça platine DVD/Bluray est trop ancienne ou n’a pas de lecteur vidéo sur PC permettant de passer tous les DRMs, ils se retrouvent avec un disque qu’ils ne peuvent pas lire bien qu’ils l’aient acquis légalement.

Ce que recherche les utilisateurs est la facilité d’utilisation et la garantie qu’ils pourront voir le film où ils veulent quand il veulent. S’il a besoin d’un lecteur vidéo spécifique ou s’il ne peut pas lire le fichier parce qu’il n’a pas de connexion internet (parce dans le métro, dans l’avion, dans une grotte ou au milieu de la campagne), il devrait avoir quand même un moyen de profiter de son achat.

5. Revoir le contenu des DVD/Bluray

Si vous souhaitez voir augmenter les ventes de DVD et de bluray, plusieurs choses sont possibles :

  • Offrir une réelle plus value aux versions physiques (en plus des commentaires du réal/producteur, mettre quelques goodies et proposer des boites de qualité)
  • Virer les pubs (parfois même non-zappables, le pire) des supports
  • Virer les messages de prévention contre le piratage (parce que si vous n’êtes pas sur Terre, c’est uniquement les clients des versions légales qui les subissent)
  • Virer les DRMs forçant l’usage d’une application spécifique sur PC (c’est encore le meilleur moyen pour pousser à télécharger une version pirate du film)

En échange de ces points, vous êtes libre d’augmenter le prix des versions physiques de 5–10€ et je pense que le grand public ne sera pas contre si ça lui permet de potentiellement pas se battre ou de s’énerver devant son DVD/Bluray.

6. Inciter les ayants-droit à proposer leur contenu sur toute les plateformes

Afin de limiter le besoin aux consommateurs de devoir souscrire à plusieurs services à la fois, il faudrait inciter les ayants-droit à proposer leur contenu aux différentes plateformes de vidéo par abonnement.

Si je prends mon cas par exemple, qui est probablement loin d’être une généralité, je dépense une somme importante chaque mois en abonnement culturel :

  • Netflix : 11€/mois
  • Wakanim : 5–7€/mois (en fait j’achète les saisons, donc c’est une estimation en fonction du nombre de séries que je regarde chaque saison)
  • AnimeDigitalNetwork : 2–3€/mois (comme Wakanim pour l’usage, j’utilise l’offre “Téléchargement”)
  • Amazon Prime : 4€/mois
  • Google Music : 9€/mois
  • Apple Music : 10€/mois

Ce qui donne environ 44€/mois soit 528€/an, ce qui est un budget conséquent (dans la pratique ça doit être un peu moins puisque concernant les animes, ça dépends des séries qui sont diffusés chaque saison). Si on cherche un profil plus probable, il suffit de compter un compte Spotify et un compte Netflix et on se retrouve déjà avec 240€/an.

Avoir plusieurs comptes sur plusieurs plateformes pour des paiements à l’acte n’est pas forcément contraignant si les fichiers sont librement utilisables (d’ailleurs point noir à Google car les fichiers sont lisibles uniquement sur Youtube) mais c’est une histoire différente sur des services à abonnement.

7. Prévenir des retraits de catalogue quelques semaines à l’avance

Une des choses assez “horrible” à subir au niveau de l’offre légale, c’est de mettre un film (ou une série, mais le sujet est les films) dans sa liste “To-Watch” et de le faire disparaitre du jour au lendemain sans avertissement préalable.

Personnellement je n’ai vu un avertissement qu’une fois sur une série que j’étais en train de regarder mais jamais sur un contenu de “Ma liste”

Il serait de bon ton de forcer les plateformes à prévenir les clients quand un film qu’ils suivent ou avec lequel ils ont interagit est sur le point de quitter leur catalogue (et en bonus qu’ils proposent un calendrier avec toutes les entrées et sorties de catalogue de leur plateforme, accessible facilement) via mail et/ou notification sur le site par exemple.

8. Proposer un prix de vente de la version numérique au maximum au même prix constaté que la version physique

Parce qu’il ne faut pas déconner, il n’y a aucune raison pour la version numérique soit plus cher que la version physique aujourd’hui.

9. Créer un site web regroupant les offres légales

Et je parles de toutes les offres légales, même celles qui n’ont pas d’agrément avec le ministère. Le mieux serait qui les différentes offres soit catégorisées en fonction du type de contenu qu’elles proposent (ou alors de lister par catégorie et d’ajouter les plateformes plusieurs fois si nécessaire).

Et les œuvres françaises ?

Après il faut prendre en compte que les déclarations de la Ministre étaient particulièrement à destination des ayants-droits français. Mais il faut dire aussi que le Film français est en bien mauvais état se limitant principalement qu’à quelques genres tel que la comédie, les drames, les comédies dramatiques, les comédies romantiques, les romances, les “chocs sociaux” (on peut mettre dans cette catégorie les films qui sont (quasiment) ouvertement racistes, misogynes, homophobes une bonne partie du temps), les adaptations de BD et les anciennes gloires du cinéma (type Taxi).

Comment un film pareil peut se faire financer par le CNC sérieusement ?

Très peu de films d’action, de thriller, de science fiction, de fantastique, de médiéval, d’anticipation, d’horreur, etc... En fait ça se limite essentiellement aux types de films qui ne demande pas ou très peu d’effets spéciaux, d’efforts sur les costumes ainsi que la réalisation et la mise en scène.

Du coup j’ai aussi quelques suggestions de ce côté :

1. Revoir le fonctionnement du CNC

Afin qu’il arrête d’agir comme la mafia du milieu en continuant de filer de l’argent principalement aux potes pour le distribuer à des projets qui méritent réellement leur chance (il pourrait y avoir des mauvais films, mais ça pourrait permettre de faire émerger de nouveaux talents aussi).

2. Arrêter d’avantager Canal+

Qui ne semble même plus tenir (ou pas correctement) ses engagements au niveau du financement du cinéma français (et même moins que Netflix, alors que bon, il fallait le faire…).

3. Vraiment, arrêter de financer des films pour aucune raison

C’est une redite du premier point mais c’est vraiment important, il faut vraiment arrêter de financer certains films parce qu’il faut en financer (oui je parles de vous les Gaston, Spirou, Taxi 5, les Tuches, et autres gloires passées du cinéma français).

Faites de la place à de nouveaux talents, financer des genres qu’on a pas l’habitude de voir au cinéma français ou même en financer un peu moins mais avec plus de budget pour ceux qui en ont besoin.

Rounds bonus envers la musique

Section portant sur un petit coup de gueule personnel à destination des ayants-droits de la musique, pourquoi vous ne proposez vos catalogues au niveau mondial sur les plateformes de streaming (type Google Music / Spotify / Deezer / Apple Music) ? Particulièrement qund vous proposez ces titres dans et pas un pays et que vous êtes les détenteurs des droits à 100% ?

Par exemple si je veux écouter de la J-Music, je n’ai que deux solutions :

  • Trouver une plateforme qui me permette de créer un compte japonais pour accéder au catalogue (actuellement ce n’est possible qu’avec Apple Music mais c’est assez fastidieux sans appareil Apple)
  • Pirater.

Et c’est loin d’être de la mauvaise volonté, il n’est même pas possible d’acheter l’extrême majorité des titres d’artistes japonais sur les boutiques numériques française de Google / Amazon / Apple. De plus pourquoi limiter le catalogue alors que dans le pire des cas vous gagnez un peu d’argent via le streaming ou en achat au lieu que la personne pirate (et donc gagner rien du tout) ?

Dans ce cas le piratage est l’unique solution (économiquement viable, parce que payer potentiellement 60–70€ par album dont plus de la moitié en frais de douane, non merci) pour accéder à ce pan d’une culture étrangère.

Il reste encore pas mal d’efforts à faire au niveau de l’offre légale

Si le piratage a un peu reculé ces dernières années en France (ou semble moins présent que les années passées), ce n’est pas grâce à Hadopi mais des acteurs comme Netflix, Orange (avec OCS), Spotify, Apple ou encore Amazon.

Quand des acteurs proposent des services plus simples, plus efficaces, pas trop chers (pris individuellement car sinon ça peut vite monter comme je l’ai montré) avec un catalogue un minimum intéressant, les gens vont les préférer aux services illégaux (ce qu’a très bien démontré Netflix et Spotify par exemple).

Mais pour autant, ce n’est toujours pas “parfait”. Si malgré un budget il est toujours nécessaire de devoir pirater à cause d’un manque d’accès à un catalogue ou tout simplement parce que ce qu’on cherche n’est pas disponible légalement (je parle en particulier des séries télévisées étrangères), le piratage dans ces cas devrait être toléré.

Les ayants-droits n’auraient que des choses à gagner en déverrouillant les limitations géographiques, en particulier si les contenus existent déjà numériquement et légalement (et dans le cas des séries, si les sous-titres sont déjà disponibles dans une autre partie du monde).

tl;dr

  • Revoir (en raccourcissant) la chronologie des médias
  • Proposer la VF et la VOST dans le même fichier à l’achat
  • Obliger l’interopérabilité des lecteurs de vidéos et des fichiers entre les navigateurs internet et les systèmes d’exploitation (et donc retrait des DRM)
  • Arrêter de prendre les consommateurs pour des pirates en puissance (respectez-les plutôt)
  • Inciter les ayants à proposer leur contenu sur toutes les plateformes
  • Prévenir des retraits de contenu du catalogue
  • Lisser le prix des contenus numériques
  • Avoir un portail gouvernemental présentant de manière exhaustive les différentes plateformes (nom, origine, type de contenu, taille du catalogue, prix voir même s’ils financent les oeuvres locales)
  • Revoir le fonctionnement du CNC
  • Revoir la particularité dont bénéficie Canal+
  • Pouvoir donner de vraies chances à de nouveaux talents
  • Pousser à la suppression des restrictions géographiques (en expliquant aux ayants-droits qu’ils n’ont qu’à y gagner en faisant ça)

En améliorant tous les points indiqués, vous aurez bien plus de chances de faire baisser l’usage du piratage qu’en tentant d’utiliser des méthodes répressives dans un secteur où vous serez systématiquement à la traîne (et surtout, il ne sera jamais possible de l’éradiquer totalement).

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